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Les Clés du classique #26 - Le Boléro de Ravel

Publié le 20 décembre 2022 — par Charlotte Landru-Chandès

Été 1928, Saint-Jean-de-Luz. Maurice Ravel a 53 ans et il est au sommet de sa carrière. La plupart de ses grandes œuvres sont déjà derrière lui. La dernière commande en date lui vient d’Ida Rubinstein, une ancienne danseuse des Ballets russes. Elle souhaiterait « un ballet de caractère espagnol et qui serait intitulé Fandango ».

La série Les Clés du classique nous fait découvrir les grandes œuvres du répertoire musical.

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Les extraits du Boléro de Maurice Ravel sont interprétés par l’Orchestre philharmonique de Radio France, sous la direction de Josep Pons. Ce concert a été enregistré à la Cité de la musique le 29 avril 2005.

Retrouvez l'intégralité du concert sur Philharmonie à la demande.


Pour satisfaire la demande d’Ida Rubinstein, Ravel pense d’abord à une orchestration d’Ibéria, une œuvre pour piano du compositeur Isaac Albéniz. Mais il est devancé par un certain Enrique Arbos. Dépité, Ravel décide donc d’y renoncer.

Un matin, avant une baignade en compagnie du compositeur et critique Gustave Samazeuilh, Ravel s’installe au clavier et se met à pianoter une mélodie. « Ne trouvez-vous pas que ce thème a quelque chose d’insistant ? dit-il. Je vais essayer de le répéter sans cesse, sans développement aucun, faisant monter l’orchestre graduellement aussi bien que je pourrai. » Cette mélodie anodine, ce sera celle du Boléro, qui deviendra l’un des plus grands chefs-d’œuvre de Ravel.

Cela fait presque 10 ans que Ravel n’a pas composé de musique de ballet, depuis La Valse, créée en 1920. Depuis, Ravel n’a pas eu beaucoup de succès avec la danse. La preuve : son Daphnis et Chloé est aujourd’hui plus souvent donné en version de concert qu’en version de ballet. Depuis la fin du XIXe siècle, l’Espagne et l’exotisme sont en vogue en France ; en témoignent les œuvres de Claude Debussy, Emmanuel Chabrier, ou de Ravel lui-même, déjà auteur de L’Heure espagnole ou de la Rapsodie espagnole. Mais les liens qui unissent Ravel à l'Espagne vont au-delà d’une simple mode, le compositeur y a des attaches : il est né à Ciboure, près de Saint-Jean-de-Luz, à 10 km de la frontière espagnole. C’est à sa mère qu’il doit ses origines basques.

Pour son nouveau ballet, Ravel prévoit une œuvre « sans forme proprement dite », construite sur du vide. Un thème et un contre-thème, obsédants, hypnotiques, répétés pendant un bon quart d’heure, avec un rythme et une vitesse toujours identiques. Seul élément d’évolution, un long crescendo, accompagné d’une amplification progressive de la masse orchestrale. « L’écriture est simple et directe du début à la fin, sans la moindre recherche de virtuosité », nous dit Ravel.

Le Boléro est terminé le 15 octobre 1928 et créé dans sa version ballet le 22 novembre, à l’Opéra de Paris, sur une chorégraphie de Bronislava Nijinska. Sur scène, Ida Rubinstein incarne une danseuse dans une auberge espagnole. Elle danse d’abord seule, puis elle est rejointe par les clients de l’auberge enfiévrés par le rythme envoûtant du boléro. Dans la salle de l’Opéra, le Tout-Paris est là : le compositeur Igor Stravinski, la mécène Misia Sert, ou encore la princesse de Polignac. Du côté du public, aussi bien que de celui des critiques, l’œuvre surprend, mais séduit. Elle est créée dans sa version de concert le 11 janvier 1930 aux Concerts Lamoureux, sous la direction de Ravel en personne.

Pour l’anecdote, en mai 1930, le grand maestro Arturo Toscanini vient diriger l’Orchestre Philharmonique de New York dans le Boléro à l’Opéra de Paris. Mais pour Ravel, le tempo choisi par le chef d’orchestre est deux fois trop rapide. Toscanini s’en défend : « Vous ne connaissez rien à votre musique, lui dit-il. C’était la seule façon de la faire passer. » « Si l’on m’a vu à l’Opéra, écrira ensuite Ravel, c’est parce que je savais que Toscanini prenait un mouvement ridicule dans le Boléro et je voulais le lui dire, ce qui a consterné tout le monde à commencer par le grand virtuose. »

Curieusement, ce Boléro qui se voulait dépouillé, vide, sorte de négation de la musique, est devenu l’une des œuvres de musique classique les plus célèbres. Ravel aura d’ailleurs cette formule ironique : « Mon chef-d’œuvre ? Le Boléro, voyons ! Malheureusement il est vide de musique. »

Charlotte Landru-Chandès

Charlotte Landru-Chandès  collabore à France Musique, La Lettre du Musicien et Classica. Elle conçoit des podcasts pour l'Opéra national de Paris et la Philharmonie de Paris.

Un podcast de Charlotte Landru-Chandès, réalisé par Taïssia Froidure. Une production Cité de la musique - Philharmonie de Paris.